L’ENFANT EST LE PERE DE L’HOMME

Une Comédie de Ménandre, un Croquis de Vinci, un Dessin de Michel-Ange, le Stabat Mater de Vivaldi … Depuis avant même la naissance de son fils, un nouveau père s’est mis autant que possible à sa disposition, son écoute, à sa compréhension, sa projection. Au-delà des vitaux et nécessaires besoins affectifs et matériels qu’un père s’efforce de mettre à disposition d’un enfant, il a minutieusement cherché les besoins éducatifs et d’éveil qu’il aurait incessamment à lui fournir. Le considérant dés avant même sa naissance, avant même toute grossesse, comme un être unique, original, pas juste un effet miroir de soi mais bien quelqu’un qui a droit à sa juste place dans une société pourtant souvent saturée et fort complexe, il a alors imaginé tout un programme d’instruction sophistiquée et lui a préparé des listes de livres à lire, de musiques à écouter, de tableaux de maîtres à voir, de sites et monuments à visiter, et tant d’autres apprentissages et expériences initiatiques et culturelles à vivre. Au fil de leurs pérégrinations intellectuelles, ils auraient ainsi découvert avec émerveillement et raffinement une Comédie de Ménandre, un Croquis de Vinci, un Dessin de Michel-Ange, le Stabat Mater de Vivaldi, le Paradis Perdu de Milton, une sonate de Bach, le Don Giovanni de Mozart, les Lyrical Ballads de Wordsworth, la Saison en Enfer de Rimbaud, le Requiem de Fauré, la Mer de Debussy, un tableau de Kandinsky, le Livre Rouge de Carl Jung, les gnossiennes d’Erik Satie … Arpentant côte à côte les sentiers et Mystères du Savoir, dialoguant sur de vieux grimoires de philosophies orientales, égyptiennes, chinoises, persanes, tibétaines, et d’autres encore, le duo pensant aurait finit assurément par surpasser Zoroastre, Lao Tseu, Confucius, Socrate, Aristote, Bouddha, Milarepa, Mani, et on ne sait qui des supposés plus grands maîtres d’autrefois … Et puis constatant que tout ce travail de transmission allait être considérable, fastidieux, beaucoup trop laborieux, certainement au-dessus de ses moyens, et en tout cas bien trop subjectif, d’autant qu’il n’est pas trop sûr de la fiabilité de ces auteurs dans une Histoire et un Patrimoine tellement falsifiés, et que surtout finalement il allait lui soumettre un référentiel encore trop évident, corseté, déjà si codifié, connu et convenu, une approche affreusement littéraliste et superficiel de la connaissance véritable, et même un déterminisme historique et social qui l’aurait emprisonné, piégé, programmé, le père s’est vite ravisé. En réalité, l’objectif d’une bonne éducation, complète et adéquat, n’est pas d’accumuler compulsivement des connaissances jusqu’à l’exhaustivité ni, par son érudition, de chercher à faire briller les yeux et méninges d’admiration lors des mondanités, en fait quelques modestes indications suffiraient pour cet heureux héritier. Dans ce vivant testament, les bons bagages pour son voyage, l’important est plutôt d’initier des principes, des valeurs (honnêteté, droiture, équité, partage, solidarité, courage, franchise, respect, …), des directions, des trames, des horizons, de les énoncer clairement, quelques règle de la vie en société aussi, de savoir-vivre, de savoir-être, une morale, une éthique, car être à charge d’âme n’est pas une affaire légère, et d’ordonner un peu selon les conventions et usages du lieu et de l’époque. Son action paternelle quotidienne viserait plutôt à permettre et maximiser l’expérimentation directe et d’exercer son libre-arbitre, de développer son propre ressenti, instinct, jugement, d’accéder à sa propre autonomie, à la maîtrise de soi, à la sérénité de l’esprit, à la puissance de la Pensée Juste, à l’évolution vers la Perfection, l’Immortalité. Puis là encore le père s’est rendu compte de l’arrogance éducatrice de cette posture. Fort de son expérience et de ses nombreuses rencontres, lectures et études, il avait certes quelques contenus intellectuels et sagesses circonstancielles à transmettre, mais aussi beaucoup de faiblesses personnelles, de mauvais choix, de coups de folies, d’épreuves ratées et d’échecs cuisants dans ses propres mises en pratiques, rien de saint ni vraiment héroïque dans la conduite de sa vie pour prétendre conseiller ou épauler avec justesse qui que ce soit. Alors que lui, le tendre enfant, à bien y réfléchir, il avait déjà tout : la pureté, l’innocence, l’émerveillement, le positivisme, la simplicité, la curiosité, la bonté authentiquement spirituel, la véritable fraîcheur d’âme, la grâce naturelle qui finalement fît que c’est lui qui devint son référent, son enseignant. Au fil des heures, journées, semaines, mois et années passées ensemble, tel un bienveillant Joseph conscient que son propre sort et destin passe par celui d’un enfant, oeuvrant à bonne distance à le regarder écrire et vivre sa légende personnelle et travailler lui-même sa différenciation, son individuation, à l’aimer, le chérir, l’accompagner dans son odyssée et à l’encourager tel qu’il devenait, le père, animé par la gratitude, allait tant apprendre de son fils, qu’il ne se consacra plus jamais qu’à ça.


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