Le Château du Molard à Beausemblant : Chronique d’une maison forte rurale, de la seigneurie médiévale à l’écrin artistique du XXe siècle

Par Jean-Baptiste Mesona
Pour appartenances.fr – Décembre 2025

En Résumé

Le Château du Molard, ancienne maison forte rurale du XVe siècle située à Beausemblant (Drôme du Nord), constitue un témoignage architectural de l’histoire féodale et culturelle de la Drôme du Nord. À la différence d’un château défensif classique, cette maison forte combine fonction résidentielle seigneuriale et exploitation agricole, caractéristique des seigneuries mineures médiévales. De son origine comme siège du fief de Molard-Bouchard appartenant aux familles Bochard puis d’Iserand, jusqu’à sa transformation en lieu de vie artistique sous l’impulsion de Daniel Alexandre Nemoz (1874-1960) et de Béatrice Lucie de Montgolfier (1892-1979), héritière des pionniers de l’aérostation, ce patrimoine illustre la continuité historique entre défense médiévale, innovation et création. La fusion administrative de 1842 avec Beausemblant marque un tournant dans son statut, tandis que l’arrivée du couple Nemoz-Montgolfier en 1920 ouvre une ère de rayonnement culturel documentée par dessins et cartes postales. Situé dans l’axe rhodanien historique, à proximité d’Albon (berceau du Dauphiné) et de Saint-Vallier (château de Diane de Poitiers), le Molard s’inscrit dans le grand territoire délimité par l’antique Via Agrippa, faisant de ce site un pilier de référence pour l’histoire patrimoniale drômoise.

Aux sources d’une appartenance drômoise

Imaginez-vous escaladant une butte provençale, un « molard » comme on dit ici, où le vent porte les échos d’un passé stratifié : des remparts médiévaux aux pinceaux d’un artiste du XXe siècle. Bienvenue au Château du Molard, à Beausemblant, cœur battant de la Drôme du Nord – cette bande fertile entre Vercors et Rhône, où le patrimoine n’est pas figé dans la pierre, mais vivant, respirant au rythme des saisons et des souvenirs collectifs.

Un territoire façonné par l’axe rhodanien

Le Molard ne se comprend pleinement qu’en considérant sa position géostratégique exceptionnelle. Situé à quelques kilomètres du Rhône, ce fleuve-frontière qui fut pendant des siècles l’artère vitale de l’Europe occidentale, le château s’inscrit dans le grand corridor rhodanien. Dès l’Antiquité, la Via Agrippa – cette voie romaine majeure construite au Ier siècle avant notre ère par Marcus Vipsanius Agrippa sous l’empereur Auguste – reliait Lyon (Lugdunum) à Arles en longeant la rive gauche du Rhône. Cette route passait à proximité immédiate de Beausemblant, traversant notamment Vienne, Valence et Montélimar, et assurait le commerce, les communications militaires et les échanges culturels de tout l’Empire romain.

À quelques kilomètres au nord-est se dresse Albon, « berceau du Dauphiné », dont la puissante tour sur motte domine la vallée depuis le XIIe siècle. C’est là que les comtes d’Albon – futurs Dauphins de Viennois – établirent au XIe siècle leur première résidence, avant d’étendre leur territoire des Alpes au Rhône pour créer l’une des plus puissantes principautés du sud-est de la France médiévale.

Au sud, Saint-Vallier, chef-lieu de canton dont dépendait administrativement Molard-Bouchard, abrite le château de Diane de Poitiers (née vers 1500), favorite d’Henri II, dont les jardins furent dessinés par André Le Nôtre.

Cette proximité avec ces hauts lieux historiques témoigne de l’importance stratégique de ce territoire, carrefour entre le royaume de France et le Saint-Empire, entre la vallée du Rhône et les contreforts alpins.

Lorsque la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille (PLM) fut inaugurée en 1850, elle perpétua cette tradition millénaire de l’axe rhodanien, coupant Saint-Vallier en deux et confirmant le rôle central de ce corridor dans la modernité industrielle. Aujourd’hui, l’autoroute A7, dite « autoroute du Soleil », suit ce même tracé immémorial, attestant de la permanence géographique des grandes voies de communication européennes.

Le Molard dans son contexte local

Les maisons fortes, édifices signalés dans les textes à partir du dernier tiers du XIIe siècle, se distinguent des châteaux défensifs classiques par leur fonction résidentielle seigneuriale en milieu rural, alliant symbolique féodale et exploitation agricole. Sur appartenances.fr, dédié aux trésors oubliés de notre terroir, nous chérissons ces lieux qui tissent l’identité locale. Le Molard n’est pas un château gothique flamboyant comme ceux de la Loire ; c’est une maison forte, humble sentinelle rurale, édifiée pour protéger vignes et vassaux dans le contexte des seigneuries mineures médiévales.

Son nom, attesté dès 1471 comme « Le Moulard » et 1475 comme « Molarium », évoque cette éminence terrestre, poste avancé dans un paysage de combes et de vallées gauloises. Avant 1790, il appartient à la paroisse de Creures avec Beausemblant, formant un duo inséparable jusqu’à la Révolution. Longtemps chef-lieu de Molard-Bouchard, commune indépendante de 1790 à 1842, ce domaine est uni à Beausemblant par ordonnance du 11 novembre 1842, marquant la fin de son autonomie administrative.

C’est aussi sur ce terroir de Beausemblant que naquit en 1545 l’une des figures les plus remarquables de l’économie française sous Henri IV : Barthélemy de Laffemas, dont nous reparlerons longuement.

I. De l’Ancienne Maison Forte au Fief de Molard-Bouchard (XVe – XIXe siècles)

La fondation médiévale et l’enjeu topographique

Remontons le temps, au cœur du XVe siècle, quand la Drôme du Nord est un damier de fiefs sous l’ombre du Dauphiné. Le Château du Molard émerge comme une maison forte typique des seigneuries mineures : un corps de logis massif en moellons calcaires, flanqué d’une tourelle d’angle ronde pour la vigie et la défense, entouré de dépendances agricoles.

Sa position sur le molard n’est pas anodine : cette butte offre un panorama sur la vallée du Rhône, idéal pour surveiller routes et troupeaux face aux incursions provençales ou piémontaises. Au point de vue féodal, le Molard-Bouchard était un fief du comté de Saint-Vallier, distinct du fief dauphinois de Beausemblant voisin.

Les maisons fortes se positionnent principalement aux abords des bourgs, le long des routes principales ou à la frontière d’une seigneurie, et doivent pouvoir résister quelques heures à l’assaut d’une petite troupe. Imaginez les feux de signalisation nocturnes, les assemblées de vassaux sous la halle voisine : le Molard est un microcosme féodal, où justice haute, moyenne et basse se rend dans la grande salle aux solives noircies.

Cette implantation stratégique s’inscrit dans l’histoire plus large de Creures, paroisse burgonde dès le VIe siècle, avec une église Saint-Pierre disparue au pied du château. Les Allobroges gaulois y ont laissé des toponymes comme « Bourbouriou », écho au dieu Borvo des sources thermales. Au Moyen Âge, le site pulse au rythme des foires locales et des dîmes au prieur de Saint-Vallier – un prélude à son rôle de carrefour communautaire.

Les familles seigneuriales : Bochard et d’Iserand

Le fil rouge du Molard ? Les Bochard, seigneurs éponymes dès le XVe siècle. Cette lignée locale s’éteint vers 1520 chez les d’Iserand. Cette famille, aux orthographes fluides – Bochard, Bouchard, Rochard ou Brochard –, tire son nom du fief même, « Molard-Bochard », soulignant une fusion toponymique et seigneuriale.

Ils y règnent sur vignobles et prés, percevant cens et rentes en poules ou seigles, comme l’attestent les reconnaissances féodales conservées aux Archives départementales de la Drôme. Vers 1520, la branche s’éteint, mais pas sans legs : Marguerite Bochard, en épousant Ennemond d’Iserand en 1458, transmet le domaine à cette famille montante.

Trois branches naissent : les seigneurs du Molard, du Mouchet (avec château à Épinouze) et de Senaud. Jean d’Iserand, sieur du Molard-Bochard au XVIIe siècle, apparaît dans les liasses notariales : documents attestant de transactions importantes pour la seigneurie.

Ces seigneurs ne sont pas de lointains tyrans : ils intègrent le tissu local, alliant le Molard à des fiefs comme la Grange ou Morvilliers. La tourelle, visible sur vues anciennes, symbolise cette ère : ajoutée à la Renaissance pour l’esthétique résidentielle, elle adoucit la rudesse militaire originelle, typique des maisons fortes régionales – moellons irréguliers, baies géminées, escalier en colimaçon préservé intérieurement.

Un terroir d’exception : Barthélemy de Laffemas, enfant de Beausemblant

Barthélemy de Laffemas (1545-Beausemblant – vers 1612-Paris)

Impossible d’évoquer Beausemblant et son territoire au XVIe siècle sans parler de son fils le plus illustre : Barthélemy de Laffemas, économiste visionnaire et architecte de la politique industrielle d’Henri IV.

Né en 1545 dans une famille dont l’origine sociale fait débat parmi les historiens – « petite noblesse protestante pauvre » selon certaines sources, « famille de laboureurs » selon d’autres –, Barthélemy doit travailler dès son jeune âge. Sa noblesse ultérieure sera acquise par ses services au roi, comme l’atteste sa qualification de « noble » dans le contrat de mariage de son fils en 1608. Il fait son apprentissage de tailleur à Saint-Vallier, chef-lieu voisin, avant de quitter le Dauphiné à 17 ans pour rejoindre la Navarre. Le destin bascule lorsqu’il rencontre Henri de Navarre (futur Henri IV) à Agen, qui le prend comme chaussetier de ses écuries en 1566, puis comme tailleur-valet de chambre. Cette position privilégiée lui permet de s’initier au commerce des étoffes de luxe et des passements d’or et d’argent.

Lorsqu’Henri de Navarre devient roi de France en 1589, Laffemas, fidèle compagnon devenu conseiller de confiance, se voit confier des responsabilités croissantes. En 1598, il est qualifié de « valet de chambre ordinaire du roi » et, en 1602, Henri IV le nomme contrôleur général du commerce de France, créant pour lui le Conseil du commerce.

Précurseur du mercantilisme bien avant Colbert, Laffemas développe une vision économique ambitieuse : réduire les importations, développer les manufactures royales soutenues par l’État, créer des plantations massives de mûriers pour l’industrie de la soie (4 millions de mûriers plantés en Provence et Languedoc). Son projet d’économie politique fondé sur la propagation de l’industrie soyeuse suit une politique interventionniste novatrice, s’opposant souvent aux vues agricoles de Sully. Une décision royale de 1602 impose à chaque paroisse du royaume de posséder une pépinière de mûriers et une magnanerie. À Paris, la manufacture des Gobelins est créée, et au Bois de Boulogne une magnanerie est construite entourée de 15 000 mûriers.

Laffemas insiste également sur la remise en état et le développement des routes et des ponts, des voies navigables, la création du service de la poste aux lettres, le commerce avec les Échelles du Levant et la création de grandes compagnies des Indes orientales et occidentales. Auteur prolifique, il rédige au moins quinze traités entre 1598 et 1604 pour diffuser ses idées sur le commerce comme moyen d’enrichissement du royaume.

Anobli en récompense de ses services (qualifié de « noble » dans le contrat de mariage de son fils en 1608), Barthélemy de Laffemas termine sa vie ruiné, ses projets manufacturiers ayant été progressivement abandonnés après 1604. Il meurt à Paris vers 1612, mais son héritage intellectuel perdure : Colbert reprendra l’essentiel de ses idées mercantilistes sous Louis XIV.

Son fils, Isaac de Laffemas (vers 1587-Beausemblant – 1657-Paris), hérite du patrimoine paternel sous bénéfice d’inventaire. Lieutenant civil de Paris, magistrat dévoué à Richelieu, sa sévérité dans les commissions extraordinaires de justice lui vaut d’être surnommé « Bourreau du Cardinal » par certains contemporains, sobriquet polémique qui sera popularisé au XIXe siècle.

Le parcours des Laffemas, père et fils, illustre la vitalité intellectuelle et l’ambition sociale qui animaient ce terroir drômois, où même les fils de petite noblesse provinciale pouvaient accéder aux plus hautes sphères du pouvoir royal.

L’évolution administrative au XIXe siècle

La Révolution bouleverse tout : en 1790, Molard-Bouchard devient commune autonome du canton de Saint-Vallier, avec son cadastre napoléonien détaillant parcelles et cens résiduels. Mais l’unité prime : par ordonnance du 11 novembre 1842, elle fusionne avec Beausemblant, rationalisant un territoire morcelé. Le Molard passe de chef-lieu à lieu-dit historique, mais son nom persiste dans les terriers fonciers.

Cette intégration reflète la Drôme post-révolutionnaire : fin des privilèges, essor des routes royales reliant Saint-Vallier à Romans, où le château devient ferme prospère, ses dépendances abritant pressoirs et étables.

II. Le Château du Molard au XXe siècle : L’Âge d’Or Artistique (1920–1979)

L’arrivée du couple Nemoz-Montgolfier (1920)

Et si le Molard renaissait des cendres du XIXe siècle par un mariage d’exception ? En 1920, lors d’une cérémonie à Boulieu-lès-Annonay le 4 août, Daniel Alexandre Nemoz (né le 11 novembre 1874 à Paris, mort le 16 novembre 1960) unit sa destinée à Béatrice Lucie de Montgolfier (née le 6 avril 1892 à Annonay, morte le 28 février 1979).

Daniel Alexandre Nemoz (1874-Paris – 1960)

Peintre et graveur dauphinois, Daniel Alexandre Nemoz incarne la tradition artistique régionale du tournant du XXe siècle. Né à Paris le 11 novembre 1874, il est possiblement le fils du peintre Jean-Baptiste Augustin Nemoz (1844-1896), artiste originaire de Thodure qui exposa au Salon des Artistes Français de 1864 à 1897 et dont les académies de nus furent saluées pour leur rigueur et leur solidité technique.

Daniel se forme dans cette tradition académique française avant de développer un style personnel axé sur les paysages et les vues régionales. Ses œuvres connues incluent La neige à la porte d’Asnières et Vue sur l’Esterel (achevée en 1925), témoignant de sa sensibilité aux lumières et aux textures naturelles. Mariant peinture et gravure, il documente minutieusement le patrimoine drômois, créant notamment des cartes postales iconiques du Château du Molard qui restent aujourd’hui des témoignages précieux de l’architecture du site.

Sur ses propres dessins, Daniel orthographie parfois « Molar sans D », clin d’œil espiègle aux variantes toponymiques multiples (Molard, Mollard, Dumolard) qui jalonnent l’histoire du lieu. Son approche artistique combine rigueur documentaire et sensibilité esthétique, faisant de lui un chroniqueur visuel essentiel du patrimoine rural drômois.

Béatrice Lucie de Montgolfier (1892-Annonay – 1979)

Béatrice incarne l’héritage d’une des familles les plus illustres de France : les Montgolfier, inventeurs de l’aérostation. Née le 6 avril 1892 à Annonay (Ardèche), elle est la sixième enfant d’Émile Louis de Montgolfier (1842-1896) et d’Angèle Boyer (1854-1918). La filiation exacte avec les frères Montgolfier inventeurs demanderait une confirmation généalogique primaire approfondie, mais sa famille paternelle s’inscrit dans cette lignée annonéenne prestigieuse. Les frères Joseph (1740-1810) et Étienne Montgolfier (1745-1799), papetiers annonéens, réalisèrent le 4 juin 1783 la première démonstration publique d’une montgolfière sur la place des Cordeliers d’Annonay, ouvrant l’ère de l’aérostation humaine.

Cette famille, établie à Annonay depuis le XVe siècle comme papetiers de renom européen, fut anoblie en 1783 par Louis XVI en reconnaissance de l’exploit aérostatique qui stupéfia toute l’Europe. Le 1er décembre 1783, les frères Montgolfier accomplissaient l’impensable : le premier vol habité dans la nacelle d’un ballon à hydrogène au-dessus du palais des Tuileries, atteignant 3 500 mètres d’altitude sous les yeux du roi.

Béatrice apporte en dot le domaine du Molard lors de son mariage avec Daniel Nemoz le 4 août 1920. Femme cultivée, héritière d’un esprit d’innovation et d’audace scientifique, elle infuse au Molard cette atmosphère de curiosité intellectuelle et d’ouverture qui caractérisait les Lumières ardéchoises. Elle y crée des jardins potagers expérimentaux, peut-être même des essais de ballons miniatures pour amuser ses enfants, perpétuant ainsi l’esprit pionnier de ses ancêtres.

Elle survit à son époux de près de vingt ans, s’éteignant le 28 février 1979, après avoir été la gardienne du Molard pendant près de six décennies.

Le couple eut trois fils : Hugues (1921-2012), Jean-Michel (1924-2020), et d’autres enfants, prolongeant cette lignée créative et innovante qui alliait l’art dauphinois et l’esprit scientifique ardéchois.

Le Molard, un carrefour de vie

Sous les Nemoz-Montgolfier, le château transcende son passé défensif : il devient atelier et salon, où pinceaux et conversations fusent. Daniel y grave cartes postales iconiques – cour pavée, façade à pignons brisés, tourelle couronnée de lierre, et même une automobile des années 1920 garée devant, vestige d’une modernité naissante. Une photo aérienne de 1974, issue des collections ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre), révèle le domaine en pleine campagne : arbres centenaires, allées sinueuses, un îlot de pierre au milieu des champs de lavande et de vignes.

Localement, c’est une effervescence : « On y travaillait, on y passait, on s’y retrouvait », se souviennent les aînés de Beausemblant. Le couple ouvre les portes aux villageois – vendanges collectives, expositions improvisées –, faisant du Molard un « carrefour de vie » qui préfigure les maisons fortes réinventées en gîtes patrimoniaux aujourd’hui.

Béatrice, avec son héritage montgolfier issu d’une famille ayant réalisé le premier vol humain en montgolfière le 4 juin 1783 à Annonay, y infuse un esprit d’innovation : jardins potagers inspirés des expériences ardéchoises, peut-être même des essais de ballons miniatures pour amuser les enfants ! Daniel, quant à lui, documente : ses gravures fixent l’architecture composite – robustesse médiévale alliée à ajouts du XIXe, comme une balustrade raffinée en fer forgé.

Analyse architecturale et stylistique

Plongeons dans les pierres : le Molard est un palimpseste architectural. Sa masse rectangulaire, haute de deux étages, repose sur un soubassement taluté pour l’écoulement des eaux. La tourelle, d’origine défensive mais remaniée à la Renaissance, abrite un escalier en vis menant à des chambres voûtées.

Intérieurement, un cliché ancien révèle une cheminée monumentale, ornée de motifs floraux sculptés, et des plafonds à la française aux poutres peintes. Les dépendances – granges, pressoir – encadrent une cour close, vestige de l’exploitation agricole.

Typique des maisons fortes régionales, il allie utilitaire et ornement : baies en plein cintre pour la lumière, contreforts pour la solidité, présentant une organisation dans l’espace calquée sur le château, avec ses espaces destinés à la vie privée, ses lieux de sociabilité et ceux destinés à la pratique de la religion.

Au XXe siècle, les Nemoz y ajoutent confort moderne – électricité naissante, vitraux restaurés –, préservant l’âme sans altérer le charme rustique.

III. Conclusion : Un Patrimoine au Carrefour des Histoires

Le Château du Molard n’est pas qu’une relique ; c’est un récit vivant de la Drôme du Nord, de la féodalité bochard-iserandienne à l’éclat artistique nemozien. De la fusion de 1842 aux dots de 1920, il miroite les mutations territoriales et culturelles : défense hier, inspiration aujourd’hui.

Inscrit dans le grand corridor rhodanien façonné par la Via Agrippa romaine, à portée de vue d’Albon (berceau du Dauphiné) et de Saint-Vallier (château de Diane de Poitiers), le Molard occupe une position géostratégique qui traverse les millénaires. De l’axe antique Lyon-Marseille à la ligne PLM du XIXe siècle, puis à l’autoroute A7 contemporaine, ce territoire a toujours été un point de passage, un carrefour où se croisent les hommes, les marchandises et les idées.

Le legs des Nemoz-Montgolfier – dessins, souvenirs, ouverture communautaire – en fait un modèle pour notre époque : comment réhabiliter un patrimoine rural sans le muséifier ? Sur appartenances.fr, nous plaidons pour sa reconnaissance comme Monument Historique, avec visites guidées et expositions virtuelles.

C’est aussi le terroir qui vit naître Barthélemy de Laffemas, visionnaire économique qui transforma l’industrie française sous Henri IV, démontrant que même un modeste village drômois pouvait engendrer des esprits capables de façonner l’histoire nationale.

Visitez-le en pensée : touchez les pierres qui ont vu naître des alliances séculaires, respirez l’air qui porta les rêves aéronautiques des Montgolfier, et sentez l’appartenance drômoise pulser encore. Ce patrimoine bâti illustre parfaitement la richesse architecturale de la Drôme, où plus de 600 châteaux et maisons fortes parsèment le territoire, dont plus de 70 sont inscrits ou classés Monuments Historiques.


Mini-Biographies des Personnalités Principales

Barthélemy de Laffemas (1545-Beausemblant – vers 1612-Paris)

Économiste et contrôleur général du commerce de France

Né dans une famille de petite noblesse protestante à Beausemblant, Barthélemy de Laffemas incarne l’extraordinaire ascension sociale possible sous l’Ancien Régime. Apprenti tailleur à Saint-Vallier, il rejoint à 17 ans la cour d’Henri de Navarre qui le prend comme chaussetier puis tailleur-valet de chambre. Cette proximité avec le futur roi lui permet de développer une expertise dans le commerce des étoffes de luxe.

Lorsqu’Henri IV accède au trône, Laffemas devient son principal conseiller en matière d’industrie et de commerce. Nommé contrôleur général du commerce en 1602, il est l’architecte d’une politique économique visionnaire : développement des manufactures royales (Gobelins), plantation de 4 millions de mûriers pour l’industrie de la soie, amélioration des infrastructures (routes, ponts, voies navigables), création du service postal.

Précurseur du mercantilisme avant Colbert, il s’oppose souvent à Sully qui privilégie l’agriculture. Auteur prolifique (au moins 15 traités entre 1598 et 1604), anobli en récompense de ses services, il meurt néanmoins ruiné vers 1612, ses projets ayant été progressivement abandonnés après 1604. Son héritage intellectuel influencera profondément la politique économique française du XVIIe siècle.

Isaac de Laffemas (vers 1587-Beausemblant – 1657-Paris)

Lieutenant civil de Paris, magistrat controversé

Fils de Barthélemy de Laffemas, Isaac hérite du patrimoine paternel sous bénéfice d’inventaire. Lieutenant civil de Paris, il se met au service du cardinal de Richelieu qui l’envoie comme intendant de justice en Champagne, Metz, Toul et Verdun (1633-1634).

C’est durant cette période qu’il acquiert la réputation de magistrat particulièrement sévère. Chargé d’instruire les procès des gentilshommes ayant trahi le roi lors de la révolte de 1632, il applique la justice royale avec une rigueur qui lui vaut d’être surnommé « Bourreau du Cardinal » par certains de ses contemporains, notamment Pierre de La Porte dans ses Mémoires. Ce sobriquet, qui relève davantage de la polémique politique que d’un titre officiel, sera repris par Georges Mongrédien dans son ouvrage de 1929 puis popularisé par Victor Hugo dans Marion Delorme (1831).

Tallemant des Réaux, pourtant critique, reconnaît qu’Isaac « n’avait jamais volé dans ses intendances », témoignant d’une certaine probité malgré sa réputation de sévérité. Figure controversée de l’absolutisme royal, il meurt à Paris le 16 mars 1657, ayant perdu toutes ses fonctions dès la mort de Richelieu en 1642.

Jean-Baptiste Augustin Nemoz (1844-Thodure – 1896)

Peintre académique français

Né à Thodure (Isère), Jean-Baptiste Augustin Nemoz est un peintre académique formé par François-Édouard Picot puis Alexandre Cabanel. Il expose au Salon des Artistes Français de 1864 à 1897, se distinguant particulièrement par ses académies de nus masculins. Henri Bernard note dans la préface du catalogue de la vente de son atelier en 1899 : « le dessin est chez lui d’une rigueur et d’une solidité que beaucoup de peintres modernes feraient bien d’imiter ». Actif à Paris, il représente la tradition académique française de la seconde moitié du XIXe siècle. Il est possiblement le père de Daniel Alexandre Nemoz.

Daniel Alexandre Nemoz (1874-Paris – 1960)

Peintre et graveur dauphinois

Né à Paris le 11 novembre 1874, Daniel Alexandre Nemoz s’inscrit dans la tradition picturale dauphinoise du tournant du XXe siècle. Artiste peintre et graveur, il se spécialise dans les paysages et les vues régionales, documentant minutieusement le patrimoine drômois. Ses œuvres connues incluent La neige à la porte d’Asnières et Vue sur l’Esterel (1925). Son mariage en 1920 avec Béatrice de Montgolfier lui apporte le Château du Molard, qu’il documente à travers de nombreuses gravures et cartes postales devenues aujourd’hui des témoignages patrimoniaux précieux. Il meurt le 16 novembre 1960 après avoir transformé le Molard en un lieu de vie artistique et communautaire.

Béatrice Lucie de Montgolfier (1892-Annonay – 1979)

Héritière des pionniers de l’aérostation

Née le 6 avril 1892 à Annonay, Béatrice est la sixième enfant d’Émile Louis de Montgolfier (1842-1896) et d’Angèle Boyer (1854-1918). Elle descend directement de la lignée des frères Joseph et Étienne Montgolfier, inventeurs de la montgolfière et auteurs du premier vol humain le 4 juin 1783. Sa famille, papetiers annonéens depuis le XVe siècle, fut anoblie en 1783 par Louis XVI.

Épousant Daniel Alexandre Nemoz le 4 août 1920, elle apporte en dot le Château du Molard où elle insuffle l’esprit d’innovation et d’ouverture qui caractérisait les Lumières ardéchoises. Femme cultivée, gardienne du patrimoine familial, elle transforme le Molard en un lieu de vie communautaire ouvert aux villageois. Elle survit à son époux de près de vingt ans, s’éteignant le 28 février 1979 après avoir été la gardienne du Molard pendant près de six décennies.

Diane de Poitiers (vers 1500-Saint-Vallier ou Étoile – 1566-Anet)

Duchesse de Valentinois, favorite d’Henri II

Née vers 1500 (la date et le lieu exacts font débat : Saint-Vallier ou Étoile-sur-Rhône), Diane de Poitiers est issue de la puissante famille des Poitiers-Valentinois. Fille de Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, elle passe une partie de son enfance au château familial de Saint-Vallier avant de devenir l’une des femmes les plus influentes de la Renaissance française.

Épouse en 1515 de Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie (mort en 1531), elle devient ensuite la favorite du roi Henri II, de vingt ans son cadet, exerçant une influence considérable sur la politique et les arts de la cour. Henri II lui offre le château de Chenonceau et le titre de duchesse de Valentinois. Femme de pouvoir, mécène des arts, elle incarne l’élégance et l’intelligence politique de la Renaissance française. À la mort d’Henri II en 1559, Catherine de Médicis la contraint à restituer Chenonceau. Elle se retire dans son château d’Anet où elle meurt en 1566, laissant l’image d’une beauté légendaire et d’une influence politique majeure.


FAQ : Questions fréquentes sur le Château du Molard

Le Château du Molard est-il un château fort médiéval ?
Non, c’est une maison forte rurale, fortifiée mais résidentielle, typique des XVe-XVIe siècles en Drôme – moins imposante qu’un donjon, plus un manoir défensif intégré à une exploitation agricole.

Qui étaient les premiers seigneurs du Molard ?
Les Bochard dès 1471, éteints vers 1520 ; transmission aux d’Iserand via le mariage de Marguerite Bochard et Ennemond en 1458.

Quel était le lien de Béatrice de Montgolfier avec le Molard ?
Reçu en dot lors de son mariage avec Daniel Nemoz le 4 août 1920 ; elle en fut propriétaire jusqu’à sa mort en 1979, apportant l’héritage d’une famille anoblie en 1783 pour l’invention de la montgolfière.

Daniel Alexandre Nemoz était-il un artiste célèbre ?
Peintre et graveur dauphinois (1874-1960), connu pour ses vues paysagères ; ses œuvres du Molard documentent le site. Il était possiblement le fils du peintre Jean-Baptiste Augustin Nemoz qui exposa au Salon des Artistes Français.

Où se situait la commune de Molard-Bouchard ?
Indépendante de 1790 à 1842, chef-lieu au Molard ; fusionnée à Beausemblant par ordonnance du 11 novembre 1842 (parfois erronément datée de 1848).

Qui était Barthélemy de Laffemas ?
Économiste visionnaire né à Beausemblant en 1545, contrôleur général du commerce sous Henri IV, précurseur du mercantilisme. Il développa l’industrie de la soie, créa les manufactures des Gobelins et modernisa les infrastructures commerciales françaises.

Quel est le lien entre le Molard et l’axe rhodanien ?
Le Molard se situe à proximité immédiate de l’antique Via Agrippa (Ier siècle av. J.-C.) qui reliait Lyon à Arles en longeant le Rhône. Cet axe romain fut perpétué par la route royale, puis la ligne PLM (1850) et aujourd’hui l’autoroute A7.

Quelle est la proximité avec Albon et Saint-Vallier ?
À quelques kilomètres au nord-est : Albon, « berceau du Dauphiné », siège des comtes d’Albon (XIe siècle). Au sud : Saint-Vallier, avec le château de Diane de Poitiers (jardins de Le Nôtre), chef-lieu dont dépendait administrativement Molard-Bouchard.

Peut-on visiter le Château du Molard aujourd’hui ?
Propriété privée, mais des vues aériennes et archives permettent une exploration virtuelle ; contactez la mairie de Beausemblant pour accès occasionnel.

Quelle est l’architecture clé du site ?
Maison forte avec tourelle ronde, cour close et dépendances agricoles ; remaniements Renaissance et XIXe, typiques des édifices seigneuriaux ruraux drômois.

Les Montgolfier ont-ils influencé le Molard ?
Indirectement via Béatrice : esprit innovant dans les jardins et la vie communautaire, écho à l’héritage aéronautique d’une famille ayant réalisé le premier vol humain en montgolfière en 1783.

Y a-t-il des artefacts du Molard ?
Cartes postales et gravures de Nemoz conservées dans des collections privées ; terriers et reconnaissances féodales aux Archives départementales de la Drôme (série E).

Pourquoi le Molard est-il clé pour la Drôme du Nord ?
Témoignage de micro-histoire féodale et culturelle, reliant ruralité médiévale et modernité artistique du XXe siècle, inscrit dans le grand corridor rhodanien historique, représentatif du patrimoine bâti drômois.


Glossaire académique du Patrimoine

TermeDéfinition contextuelle
Maison ForteBâtiment fortifié rural (XVe-XVIe), résidence seigneuriale et centre agricole ; édifices signalés dans les textes à partir du dernier tiers du XIIe siècle, distincts des châteaux par leur fonction résidentielle mineure.
FiefTerre vassalique (ici, comté de Saint-Vallier) ; Molard-Bouchard englobait cens, rentes et justice locale seigneuriale.
ToponymieÉtude des noms : « Molard » (butte provençale), variantes (Mollard, Dumolard) reflétant évolutions linguistiques et orthographiques.
DauphinéProvince historique créée par les comtes d’Albon au XIe siècle, territoire d’Empire jusqu’en 1349, étendu des Alpes au Rhône.
Via AgrippaVoie romaine construite au Ier siècle av. J.-C. par Marcus Vipsanius Agrippa, reliant Lyon à Arles le long du Rhône, artère majeure du commerce antique.
Axe rhodanienCorridor géostratégique millénaire le long du Rhône, de la Via Agrippa romaine à l’A7 contemporaine, passant par la ligne PLM (1850).
AlbonVillage drômois, « berceau du Dauphiné », siège originel des comtes d’Albon (XIe s.) qui fondèrent la principauté dauphinoise.
MercantilismeDoctrine économique (XVIe-XVIIe s.) prônant l’interventionnisme d’État pour développer manufactures et commerce, réduire importations ; Barthélemy de Laffemas en fut un précurseur.
MontgolfièreBallon aérostatique à air chaud inventé par les frères Montgolfier en 1783 à Annonay, marquant le premier vol humain.
DotBiens matrimoniaux féminins ; pour Béatrice, le Molard en 1920, liant art et héritage industriel montgolfier.
TerrierRegistre foncier féodal ; ceux du Molard listent cens en seigles ou poules (Archives Drôme, série E).
Reconnaissance FéodaleActe vassalique renouvelant hommages ; Jean d’Iserand au XVIIe siècle pour le Molard.
PLMParis-Lyon-Marseille, ligne de chemin de fer inaugurée en 1850, perpétuant l’axe rhodanien antique.

Liens Utiles

  • Mairie de Beausemblant : Histoire locale et PLU mentionnant le Molard – http://www.beausemblant.fr
  • Archives Départementales de la Drôme (AD 26) : Terriers et reconnaissances féodales – archives.ladrome.fr
  • Société d’Archéologie et Statistique de la Drôme : Publications sur maisons fortes – http://www.sasd.fr
  • Geneanet – Généalogie Montgolfier/Nemoz : Arbres familiaux détaillés – gw.geneanet.org
  • Blog Beausemblant d’Hier : Cartes postales et anecdotes locales – gelule.canalblog.com
  • Patrimoine Auvergne-Rhône-Alpes : Inventaire des maisons fortes drômoises – patrimoine.auvergnerhonealpes.fr
  • Château d’Albon – HADÈS Archéologie : Fouilles et histoire du berceau du Dauphiné – http://www.hades-archeologie.com
  • Mairie de Saint-Vallier : Patrimoine et château de Diane de Poitiers – http://www.saintvallier.fr
  • Appartenances.fr : Articles sur l’histoire de la Drôme du Nord – appartenances.fr


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