Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France

Un destin hors du commun, forgé entre luttes et visions économiques
Au XVIᵉ siècle, au cœur du Dauphiné, naît un homme dont la vision économique marquera profondément l’histoire de France, bien que son nom soit aujourd’hui presque effacé des mémoires. Huguenot et issu de la petite noblesse pauvre, Barthélemy de Laffemas (1545-1612) commence sa vie comme simple artisan tailleur. Pourtant, il gravira les échelons pour devenir non seulement un fidèle compagnon d’armes du roi de France Henri IV (1553-1610), mais aussi le maître d’œuvre d’une révolution économique qui inspirera le colbertisme.

Si Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) reste l’icône du mercantilisme, il ne fut pas l’inventeur de cette politique économique. Barthélemy de Laffemas, maître de la garde-robe royale et premier contrôleur général du Commerce, en posa les fondations bien avant. Avec une approche pragmatique et visionnaire, il chercha à renforcer l’économie française en misant sur la manufacture, le commerce et l’agriculture. Ce tailleur de Saint-Vallier, au parcours aussi tumultueux que fascinant, a marqué l’histoire de France, dessinant les contours d’un système économique que Colbert, plus tard, reprendra à son compte. Mais qui est donc ce visionnaire, dont les idées novatrices ont pavé la voie de l’essor industriel et commercial du royaume ?

Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France
Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France

Chapitre 1 : Des débuts modestes dans le Dauphiné

Né en 1545, Barthélemy de Laffemas se disait être originaire de Creure, un hameau aujourd’hui disparu de Beausemblant, près de Boresse. Issu d’une petite noblesse huguenote, tout comme son roi Henri IV, Barthélemy de Laffemas trouve en cette appartenance un lien fort avec le futur monarque. Il grandit dans une famille modeste, mais ambitieuse, de laboureurs au service du Seigneur de la Sizeranne. Tout en apprenant le métier de tailleur à Saint-Vallier, village natal de Diane de Poitiers (1499-1566) situé à quelques kilomètres, il rêve d’une ascension au-delà de son humble condition. Très jeune, et en pleine guerre des religions (l’assassinat du lieutenant général du Dauphiné, La Motte-Gondrin, le 27 avril 1562, à Valence, marque le début de la première guerre de religion), il quitte sa région dauphinoise pour rejoindre Henri de Navarre, le futur Henri IV, à Agen. Il trouve rapidement sa place à la cour d’Henri de Navarre, à Pau, où il est accueilli par la reine et nommé tailleur du prince. En 1572, il suit le futur Henri IV à Paris, se liant d’amitié avec lui et devenant un de ses plus proches conseillers.


Chapitre 2 : Un mercantiliste avant l’heure

À l’issue des guerres de religion, la France est dévastée. Henri IV, soucieux de redresser le royaume, s’entoure de quelques hommes de confiance : Sully (Maximilien de Béthune, duc de Sully, 1559-1641) pour la politique et Barthélemy de Laffemas pour le commerce et l’industrie. Ce dernier, débordant d’activité et de projets, se distingue rapidement par sa vision novatrice du développement économique. Au contact des banquiers et marchands de la cour, Laffemas découvre les failles de l’économie française : une dépendance excessive aux produits de luxe importés de Flandre et d’Italie, qui grèvent les finances du royaume. Convaincu qu’il faut inverser cette tendance, il devient un fervent partisan du mercantilisme, prônant une économie fondée sur l’autosuffisance et les exportations.

En 1601, Henri IV le nomme à la tête du Bureau du commerce, position qui lui permet de mettre en œuvre une série d’initiatives économiques audacieuses. Contrairement à Sully, dont la politique est plus rigide et axée sur l’agriculture, Laffemas mise sur le développement des manufactures. Son objectif est clair : relancer l’économie du royaume par l’exportation des produits fabriqués en France. Il veut développer la production de soie (surtout après sa rencontre avec l’ardéchois Olivier de Serres, 1539-1619, pionnier français de la sériciculture et qui deviendra son ami), mais aussi du coton, du cuir, de la verrerie, des tapisseries et même de la métallurgie.

Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France
Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France

Sa vision s’étend à tous les domaines nécessaires à la relance économique. Il rêve de manufactures florissantes, « filant de l’or », comme il le disait, et recommande l’achat des matières premières essentielles tout en cherchant à exporter massivement ce que la France fabrique. Il préconise également de valoriser les cordages fabriqués à partir de l’écorce des mûriers, très prisée, ainsi que les ponts et chaussées. Mais ses ambitions ne se limitent pas à la soie. Il se préoccupe de tous les aspects de l’économie : l’assèchement des marais, la construction de canaux, la création du premier service postal, et même la mise en place de transports en commun.

Sully, avec ses projets de pâturages et de labourages, paraît désormais désuet face aux réformes audacieuses de Laffemas. Ce dernier, très proche d’Henri IV, fait la conquête du roi et influence profondément ses choix économiques.


Chapitre 3 : Un héritage oublié

Ses propositions ne s’arrêtent pas là : dès 1596, il suggère de transformer tous les métiers libres en corporations et en 1600, il fonde la première chambre de commerce à Marseille, un acte qui marque la naissance des chambres de commerce et d’industrie, dont il est aujourd’hui considéré comme le père fondateur, un concept visionnaire qui marquera la future organisation économique de la France. Jean Profit, un Valentinois de la rue Montgolfier, a même publié une biographie dialoguée de Laffemas, où il est salué comme « le père de l’économie moderne ».

Cependant, les réformes de Laffemas, bien que novatrices, ne furent pas toutes couronnées de succès. Les manufactures qu’il met en place connaissent des succès variables, et certaines de ses initiatives, comme la généralisation de la culture du mûrier et l’élevage du ver à soie, peinent à se stabiliser à long terme. Pourtant, il laisse une trace indélébile dans l’histoire économique de la France.


Chapitre 4 : La fin tragique d’un réformateur

Malgré des succès indéniables, la fin de Barthélemy de Laffemas est tragique. Le 29 septembre 1611, il meurt des suites d’une chute de cheval, à l’âge de 65 ans, un an après l’assassinat de son bienfaiteur Henri IV. À sa mort, Laffemas laisse derrière lui un royaume transformé, dont l’économie est désormais orientée vers l’autosuffisance et le commerce. On raconte qu’il fut enterré à Villeneuve-de-Berg, auprès de son ami et collègue Olivier de Serres. Avant de mourir, il aurait dit à son fils Isaac : « Le tout est de rester calviniste ». Le fils de Barthélemy, Isaac de Laffemas, né en 1587 à Beausemblant, suit les pas de son père avec une rigueur sans pareil. En tant que membre des commissions extraordinaires de justice envoyées par le Cardinal Richelieu dans les provinces, Isaac acquiert une réputation redoutable. Sa sévérité est telle qu’il est surnommé le « Bourreau du Cardinal », un titre qui résume parfaitement la rigueur et l’autorité dont il fait preuve. L’héritage de Barthélemy se poursuit ainsi à travers la main ferme de son fils, renforçant l’impact de la famille Laffemas dans la France du XVIIe siècle.


Conclusion : Le père oublié du colbertisme

Laffemas a jeté les bases d’une politique économique qui marquera durablement la France. Sa politique mercantiliste et ses réformes industrielles ont inspiré des générations de dirigeants, et plus particulièrement Colbert, qui reprendra ses idées pour les appliquer sous Louis XIV. Barthélemy de Laffemas restera l’un des plus grands architectes du redressement économique français. Pourtant, le nom de Barthélemy de Laffemas reste dans l’ombre, éclipsé par des figures plus célèbres.

Issu d’un modeste village du Dauphiné, ce tailleur devenu maître de la garde-robe royale a prouvé qu’une vision claire et une détermination sans faille pouvaient changer le destin d’un royaume. Il mérite de retrouver sa place parmi les grands artisans de l’économie française.


Barthélemy de Laffemas : L’enfant de Beausemblant, architecte de l’économie moderne de la France
Etablissement des chambres de commerce. Développement du commerce intérieur et extérieur. Amélioration de l’état des routes. Aménagement des voies navigables (construction du canal de Briare, qui relie la Loire à la Seine)

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